La Dame de l'Escalier (Yannick)
Date : 1998
Lieu : Hauteurs de Forcalquier (Alpes de Haute Provence)
L’histoire que je vais vous raconter s’est déroulée en 1998. Pour vous poser le décor, je fais la connaissance à ce moment-là d’une amie qui est greffière et qui loue une maison sur les hauteurs de Forcalquier, joli village situé dans le département des Alpes de Haute Provence. J’ai 20 ans, et déjà de nombreuses “histoires de fantômes“ à raconter, même si je n’aime pas du tout cette expression.
Lorsque cette amie, M., m’invite chez elle pour la première fois, je découvre une maison magnifique typique des années 1950, sur deux niveaux (buanderie, garage, et un studio au sous-sol ; partie habitation à l’étage avec un magnifique balcon qui fait quasiment le tour de la moitié de la maison entièrement couvert par une véranda assez ancienne). La vue sur Forcalquier est imprenable et sublime, surtout le matin lorsque tout s’éveille.
Malgré la beauté du lieu, en montant la première fois l’escalier central débouchant sur une sorte de coursive permettant de desservir l’ensemble des pièces du premier étage, je suis pris d’une sorte de malaise, de mal-être même. Un sentiment d’oppression, mais diffus. Je n’arrive pas alors à déterminer ce qui me met mal à l’aise dans cet escalier au demeurant fort lumineux et garni de belles décorations aux couleurs attrayantes. Bref, rien dans l’environnement visuel immédiat ne me permet d’identifier la source de ce malaise.
Une fois à l’étage, la situation s’améliore un peu, mais je demeure « sur mes gardes », comme si l’atmosphère de la maison, malgré sa luminosité, sa décoration joyeuse et aérée, dégageait une forme de tristesse et d’oppression. La soirée et se passe et je m’aperçois que l’idée de me rendre aux toilettes seul me tétanise. « T’es vraiment trop c…“ me dis-je à moi-même, “c’est juste une maison, point ! » Mais, une autre partie de moi, plus refoulée, me criait « tu sais ce qu’il se passe quand tu as ce genre de sensation, tu n’es pas fou ! » Je me retins d’aller aux toilettes et n’y fit un saut qu’au moment de me coucher, une fois que tout le monde était bien dans la même partie de la maison que moi-même…
La nuit se passe, et rien ne se passe. Le matin au réveil, je me fais à moi-même le plus long et pire sermon que l’on puisse imaginer, et mon côté rationnel, heureux et triomphant, s’en donne à cœur joie. Pourtant, impossible de me départir de cette lourdeur, de cette impression d’être constamment épié, observé. Je finis par questionner mon amie sur le passé de cette maison. Elle me répond qu’elle n’en a pas connaissance, mais que sa propriétaire occupe, parfois, le studio situé au rez-de-chaussée. Curieux, je lui demande de se renseigner.
Plusieurs semaines après ce premier épisode, je retourne chez M. et, elle me présente une amie à elle, institutrice à la retraite, s’appelant A., et cartomancienne à ses heures perdues. Elle aime beaucoup la maison de M. et, profitant de l’absence de M., je la questionne, compte-tenu de son passe-temps favori, sur son ressenti dans cette maison. Elle m’indique qu’elle n’y ressent rien de particulier. De nouveau, je me dis « Ahhhh Yannick, tu es un incorrigible farfelu. Tu vois, elle a un don et ne ressent rien. Donc lâche l’affaire avec cette maison. Tu es trop sensible et tu as une imagination débordante, c’est tout. » Pourtant, dès mon arrivée, mon sentiment de malaise reprend, et cette fois, j’ai une certitude, il y a quelqu’un que je ne vois pas mais qui est là. Quelqu’un qui nous observe. Quelqu’un qui est ici chez “elle“. J’ai la certitude que l’esprit d’une femme vit encore dans cette maison. En passant de nouveau dans l’escalier, j’ai, cette fois, la sensation d’avoir le souffle coupé, comme si je m’étouffais, l’espace d’un instant. La soirée se passe, et je demande à M. si elle s’est renseignée sur le passé de sa maison. Face à ma curiosité tenace, elle me rétorque étonnée : « Pourquoi tu es si intéressé par le passé de cette maison, toi aussi tu sens des choses ici ? » A mon tour d’être étonné ! Je lui demande pourquoi elle me dit cela, et me répond du tac au tac : « Ben depuis que je suis ici j’ai vécu des choses folles ! Tu vas me prendre pour une folle si je te raconte. » Lui expliquant que je vis alors dans une maison hantée et que rien ne peut me surprendre de ce côté-là, elle nous raconte donc à A. et moi-même ces expériences curieuses.
Elle m’explique alors qu’une nuit, elle s’est levée pour aller aux toilettes, et que, passant au-dessus de l’escalier, elle a vu une forme humaine féminine, vaporeuse, monter l’escalier. Elle dit « ce qui est fou, c’est que cette petite dame âgée ne marchait pas ! Je ne voyais même pas ses jambes ! Elle semblait glisser en montant l’escalier, comme si elle volait ». Elle me raconta également que des membres de sa belle-famille, tous dans des professions scientifiques, regardaient la télévision dans le salon, un week-end où ils étaient venus la voir, pendant qu’elle était partie faire des courses. A un moment donné, tout le monde entend la porte d’entrée en bas s’ouvrir et quelqu’un monter les escaliers d’un pas lourd. Pensant qu’il s’agit de M. qui rentre des courses les bras chargés, ils vont dans l’escalier pour l’aider. Mais là, stupeur générale, il n’y a personne… Quand M. est rentrée des courses, elle les a trouvés assez mal à l’aise et ils lui ont dit qu’ils trouvaient sa maison “bizarre“, avant de s’empresser de lui fournir toutes sortes de théories rationnelles susceptibles d’expliquer ce qu’ils avaient vécu, mais qui étaient en réalité totalement délirantes et n’expliquaient rien du tout !
Puis, elle me regarde et me dit : « J’ai demandé à ma propriétaire qui avait vécu dans cette maison. Elle m’a regardé bizarrement et m’a expliqué que cette maison appartenait à sa grand-mère, D., qu’elle était morte ici. Voyant qu’elle était mal à l’aise avec ma question, j’ai voulu savoir de quoi elle était morte et elle m’a dit qu’elle s’était suicidée par pendaison dans l’escalier. C’était il y a deux ans. La maison est restée fermée pendant un an avant qu’elle se décide à la louer, et je suis donc la première occupante des lieux depuis sa grand-mère. »
A ce moment-là, tout s’éclaire pour moi ! Cette petite dame qui vit encore ici, c’est elle, c’est D. Sans très bien savoir pourquoi, car à l’époque je ne lis rien sur ces sujets, je les fuis même comme la peste car j’ai très peur de tout cela, mais y suis tout le temps confronté où que j’aille… Spontanément, et sans être capable d’expliquer à M. ou à A. pourquoi je dis cela, je m’exclame : « Il faut l’aider ! Elle ne doit pas savoir qu’elle est morte, il faut qu’elle s’en aille ! » M., très terre à terre, me regarde et me dit « mais elle est ici chez elle, elle ne me dérange pas ! ». Après plusieurs jours de discussions, j’arrive à convaincre M. qu’il faut aider D. à partir, à prendre son envol vers sa nouvelle vie. Elle me dit ok.
Un matin, alors qu’elle se rend à son travail au palais de justice, je reste seul dans la maison avec pour seul compagnie un cocker américain aussi peureux que moi… Je m’installe dans le grand salon, avec la boule au ventre et une sensation d’oppression incroyable, et sans avoir aucune idée de ce que je fais, je me mets à faire des choses comme un robot automate : j’allume une bougie, je mets de l’encens, je tire les rideaux pour installer une certaine pénombre. Au fur et à mesure que je faisais tout ça, de manière quasi-automatique, je me disais : « Mon pauvre Yannick, t’es complètement taré. A quoi ça sert tout ce fatras mystique ? Tu vas faire quoi ? Tu veux pas une cloche ou une robe de cérémonie tant qu’on y est ? Arrête de faire ça et va au taf ! Ce sera plus utile ! » Mais rien n’y faisait, je continuais, comme si une partie de moi sur laquelle je n’avais aucun contrôle savait exactement ce qu’elle faisait, et ce qu’il fallait faire en pareille situation.
Je m’assois, mets un fond de musique classique (j’en écoutais jamais à l’époque), et je m’entends, à haute voix, m’adresser à D. en lui demandant de venir et de m’écouter. Je sentis alors un froid intense s’installer dans la pièce. Je savais que je n’étais pas seul et qu’elle était là. Au plus profond de moi-même, mon côté rationnel me disait « T’es bon pour l’asile mon pauvre. » Au fur et à mesure que je lui parlais à voix haute, et malgré la peur, je me sentais “partir“, comme si quelque chose en moi était aspiré vers le sommet de mon crâne, comme si tout mon sang montait dans ma tête. Je me mis à trembler sans pouvoir contrôler ce qui m’arrivait et j’avais l’impression que l’arrière de mon crâne s’ouvrait, comme si quelque chose poussait pour sortir de mon corps. Je luttais de toutes mes forces pour que cela n’arrive pas, et tenais bon sur le discours. Je lui parlais avec un amour que je n’avais jamais ressenti, une sorte d’amour fraternel de très haut niveau et je sentais des larmes couler de mes yeux au fur et à mesure que mon propos avançait. Quand je terminai de lui dire ce que j’avais à lui dire, tout s’arrêta.
La nuit qui succéda cette séance curieuse, je fus réveillé en sursaut. J’étais glacé, je n’arrivais pas à bouger, ni à crier. J’étais totalement paralysé. Je sentis tout d’un coup un poids lourd se coucher sur moi, comme si un autre corps tombait sur le mien. Et là, je sentais que toute mon énergie s’en allait. Puis, tout s’arrêta aussi brutalement et soudainement que cela avait commencé. Je n’arrivai plus à fermer les yeux de la nuit. Le lendemain matin, tout le monde me trouva extrêmement fatigué, et je ne comprenais pas ce qui se passait. J’étais comme sous anesthésie.
Le soir, M. organisa un petit dîner avec A. et son ex-mari qui était de passage. La discussion tourna autour des événements de la veille et de la nuit. R., l’ex-mari de M., ne croyait en rien. Il nous écoutait avec respect, mais je sentais bien qu’il se disait : “C’est un dîner de fou“. M. me disait que D. n’avait pas dû apprécier mes propos et qu’elle s’était manifestée pour me dire de la laisser tranquille. Mais, à un moment donné du repas, nous avons tous entendu comme un grésillement, ce genre de bruit que font les transformateurs EDF. Nous avons tous tournés la tête en direction de la fenêtre qui donnait sur la cour extérieure, et là, nous avons tous vus passer une forme humanoïde, vaporeuse, qui volait à hauteur de la fenêtre. On distinguait un visage qui souriait, et puis, tout d’un coup, cette forme est partie à une vitesse incroyable, on se serait cru dans un film de science-fiction ! A ce moment-là, l’atmosphère pesante de la maison s’est soudainement estompée, et il n’est plus resté qu’un sentiment incroyable de plénitude. R. semblait totalement dépassé par ce qu’il venait de voir. La nuit suivant ce dîner et le lendemain, nous avons baigné dans un sentiment d’amour et de plénitude incroyable. Comme si, en partant, D. nous avait transmis un peu de ce qu’elle vivait. Aucun de nous n’est allé travailler. Nous ne pouvions pas. Cela nous semblait tellement dérisoire, inutile et nous avons passé la journée dans le jardin, comme drogués par ce sentiment qu’aucun de nous n’avait ressenti jusque-là, et n’a plus jamais ressenti par la suite.
Voilà, cette histoire, j’en ai encore des frissons et une émotion certaine, 20 ans après les faits. Elle semble être hier… Jeune nuréen, je tenais à vous la faire partager. Je ne sais pas où est D., si elle est encore dans l’au-delà ou si elle s’est réincarnée depuis (oui, depuis j’ai beaucoup lu pour tenter de comprendre ce qu’il s’était passé et tenter de comprendre toutes les autres histoires auxquelles j’ai été confronté). Après des années à lutter contre ces phénomènes, à en avoir peur, je tente aujourd’hui de rouvrir ce petit canal que j’ai voulu réduire au silence. J’essaie de comprendre à quoi il peut servir et à qui il peut être utile. Je m’aperçois que je n’étais pas prêt, jusqu’à présent du moins, à assumer cette partie de moi-même que j’ai bâillonnée aussi durement et fortement que l’on peut le faire pendant si longtemps. Inutilement…
Yannick